- Jun 17, 2022
Mon chien vegan ? En voilà une bonne idée !
- Jen
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Aujourd’hui, nous humains sommes de plus en plus poussés à consommer moins de viande. Élevage intensif dans des conditions atroces, empreinte carbone, santé… Manger vert, manger frais, c’est la vie ! (Non.) Mais qu’en est-il pour nos chiens ?
Ça faisait un certain temps que je voulais aborder le sujet des régimes végétariens et vegans mais je ne savais pas trop par quel bout commencer. Puis quand mon Facebook a mis en avant un certain article et que je l’ai lu… Eh bah zut ! Il était tellement drôle que j’ai décidé de me lancer.
Alors décortiquons ensemble l’article « Et si les chiens devenaient vegans ? » publié sur le site Les Éclaireurs. (J’ai choisi de ne pas mettre de lien direct pour éviter les clicks et le buzz intempestif pour un article qui n’en vaut pas le coup. Je vous ai cependant mis assez d’informations pour que vous puissiez le retrouver si vous le voulez vraiment.)
Je ne vais pas y aller par 4 chemins : on est sur du gros putaclic. Ça parle d’étude scientifique mais ça ne cite pas de source. Donc je suis allée chercher l’étude en question, je l’ai lu et il y a beaucoup de chose à dire dessus.
Tout d’abord, elle est basée sur une enquête via internet, à savoir Online Surveys. Alors oui, c’est très pratique pour avoir une idée et émettre des hypothèses mais pas du tout pour faire une véritable étude, c’est-à-dire quelque chose de cadré et sous contrôle. Il s’agit uniquement de faire appel à des volontaires correspondant à certains critères pour répondre à des questions sur le régime alimentaire et la santé de leur chien sur l’année passée, tout ça depuis le confort de leur canapé.
De plus, et là c’est plutôt intelligent, les scientifiques ont posé des questions sur le régime alimentaire des participants.
Sur les 2639 personnes ayant répondu à l’appel, 40% se considèrent comme omnivores, 22% sont vegans, 21% sont réducétariens (?) (omnivore cherchant à réduire leur consommation de produit animal mais il semblerait que ce ne soit pas pareil que flexitarien), 10% sont végétariens et 5% sont pescatariens. Et apparemment, 2% ne se sont pas prononcés…? Ce qui signifie que 58% des participants font attention à leur consommation de produits animaliers. Il est difficile d’évaluer réellement le pourcentage des végétariens/vegans/etc sur toute la population humaine mais ça tourne autour de 20%.
Quelle conclusion puis-je en tirer ? Eh bien que les gens ayant participés à cette étude sont pour la plupart intéressés par cette alternative ou nourrissent déjà leur chien en vegan et souhaitent probablement être confortés dans cette idée. À peine biaisé tout ça. Personnellement, je vois un appel à témoins pour une enquête de ce type, je passe mon tour car je sais que ce n’est pas une bonne idée.
Pourquoi je dis ça ?
Avec les connaissances scientifiques actuelles, je pense effectivement qu’il est possible de créer une recette végane qui soit parfaitement équilibrée pour son chien. Cependant, c’est extrêmement compliqué car il y a énormément de facteurs à prendre en compte.
Parlons en premier lieu de protéines. Oui les plantes, céréales, légumes en ont. Mais elles sont incomplètes et souvent de mauvaise qualité, c’est-à-dire qu’elles ne contiennent que peu voire pas du tout les acides aminés essentiels au chien. Même le soja, la star des protéines végétales, ne brille pas par sa supériorité écrasante.
Écrans de capture de RFN Spreadsheet montrant le profil des acides aminés essentiels pour deux sources de protéines différentes. En haut, le soja et en-dessous, du blanc de poulet cru.
Il est cependant tout à fait possible de combiner plusieurs sources de protéines végétales pour remplir les besoins en acides aminés du chien. Le réel souci, à mon sens, avec les régimes vegans, ce n’est pas tant les protéines mais tous les autres nutriments.
Prenons 3 secondes pour parler nutrition.
Le fer par exemple se divise en 2 catégories : le héminique (origine animale) et le non-héminique (origine végétale). Le premier est très bien absorbé par l’organisme… contrairement au second ! Et de manière générale, l’absorption du fer peut être influencée par nos amis les phytates, phosphates et oxalates que l’on trouve dans les végétaux (Canine and Feline Nutrition). Solution : utiliser un complément alimentaire de qualité. Ok mais… en quelle quantité ? Puisque tous les minéraux interagissent entre eux, comment peut-on utiliser un complément sans savoir combien il faut en mettre ?
Autre exemple : la vitamine D. Il en existe deux sortes aussi : la D2, ergocalciférol, et D3, cholécalciférol. La D2 est d’origine végétale et est très mal absorbée aussi donc seule la D3, d’origine animale, nous intéresse. Vous savez, c’est ce truc que nous humains, on peut synthétiser en faisant bronzette, mais aussi en mangeant des œufs et du poisson gras. Eh bien les chiens ne peuvent pas la synthétiser donc ils ont besoin d’un apport extérieur, c’est-à-dire alimentaire. Pour les régimes végétariens, pas de souci, on peut utiliser des œufs et du poisson. Mais les chiens vegans, ils font comment ? Complément alimentaire ! NON. Il existe bien des compléments de vitamine D3 marketés comme étant vegan.
Or d’après mes recherches, la D3 vegan est à base de lichen ou d’algue mais à l’heure où j’écris cet article, impossible de savoir si cette source est bien assimilée par le corps ou non donc est-ce une bonne idée de se reposer dessus ? Et je ne vous donne que les deux premiers exemples qui me sont venus en tête. J’aurais aussi bien pu parler de la vitamine A ou de la B12.
Je résume : « techniquement », il est possible de créer une recette vegan pour chien qui répondrait à tous les besoins nutritionnels de l’animal… mais sur papier seulement. En réalité, il est extrêmement difficile de savoir si les nutriments seront bien absorbés et à quelle quantité. Donc on fait quoi, on jette dans la marmite un max de compléments alimentaires et on croise les doigts ? Encore une fois, oui je pense que c’est possible mais il va falloir faire appel à un pro top niveau qui maîtrise parfaitement la biochimie et peut faire des tests pour connaître la biodisponibilité mais aussi le degré d’assimilation de chacun des ingrédients utilisés. Perso je ne m’y risquerai pas.
Petite pause verdure avant la suite de l’article ?
Pour en revenir à l’étude, elle permet de se faire une idée globale et éventuellement amorcer une vraie étude scientifique derrière. Cependant, comme je l’ai déjà dit plus haut, il n’y a aucun réel contrôle et elle est donc inexacte. Les scientifiques font preuve de l’objectivité la plus sincère possible, en indiquant par exemple leurs doutes sur les résultats puisque la majorité des chiens au cru de l’étude étaient plus jeunes que ceux nourris vegans (donc dans la « force de l’âge »), en parlant aussi de la réticence des pet parents en cru d’aller voir les vétérinaires… Ils ont certes utilisé un grand nombre de chiens mais d’âges, tailles et races différentes, stérilisés ou non… Ça fait un panel de chiens plus large mais toute l’enquête est donc faussée. D’ailleurs, les scientifiques reconnaissent eux-mêmes que leurs conclusions ne sont pas fiables à 100% puisque l’étude n’a pas été faite dans un cadre strict mais sur des particuliers, à qui il a été demandé de faire un petit bilan de l’année passée et qu’ils n’avaient donc aucunes données réelles sur les chiens. Franchement, du beau travail.
On ne peut pas en dire autant de Mr le journaliste puisqu’il écrit ceci :
FAUX ! Les scientifiques précisent bien qu’il ne s’agit pas de régimes exclusifs mais bien de « l’ingrédient principal du régime alimentaire du chien ». Et que dire de la moitié qui se nourrit de viande ? Ce chiffre correspond en réalité aux 54% nourris au « conventional meat-based diet », c’est-à-dire alimentation à base de viande non crue et non cultivée. Cela inclut donc croquettes et pâtées mais aussi les rations ménagères n’utilisant pas de la viande comme ingrédient principal. Je vais être sympa et dire que c’est une erreur de traduction.
Donc non seulement il s’agissait juste de l’ingrédient principal de l’alimentation des chiens mais en plus, ils avaient aussi des petites friandises à côté, comme l’indique la capture en dessous.
76% des 2536 chiens ont eu quotidiennement des friandises, allant du bout de fruit aux restes de table, et 37% d’entre eux ont reçu des compléments alimentaires comme des pré ou probiotiques, compléments d’acides aminés, de vitamines…
L’auteur est un certain Guillaume Joly et après un peu de recherche sur les internets, force est de constater qu’il n’est… ni vétérinaire, ni nutritionniste (humain ou canin) et, désolée de dire ça mais peut-on même le qualifier de journaliste ? Une phrase m’a perturbée dans son article :
Euh… Alors soit on parle bien du journal The Guardian, auquel cas « vous êtes au courant qu’il s’agit d’un journal d’actus et qu’il n’y a donc pas de scientifique parmi eux ? », soit il a lu l’étude en diagonale (ce que je peux comprendre) et n’a pas compris que « guardian » était un mot utilisé de nos jours pour éviter de dire « maître de chien ». Troisième hypothèse, qui me semble la plus plausible mais aussi la plus triste : il a lu cet article du Guardian et a basé son propre article dessus, sans réfléchir une seule seconde au fait que Andrew Knight, le scientifique en question était effectivement à l’origine de l’étude mais certainement pas un journaliste de The Guardian. Bref, du beau travail de journalisme.
J’ai contacté Les Éclaireurs pour en savoir plus mais pas de réponse pour l’instant.
Maintenant, attardons-nous sur cet extrait :
De l’or en barre
Ah la viande, c’est plus calorique que les légumes ! T’as fait Sciences Po, toi.
Il y a un truc super important à prendre en compte chez les mammifères, c’est le besoin énergétique. En gros, c’est le nombre de calories dont on a besoin pour fournir de l’énergie aux muscles, pour que les nutriments puissent être absorbés, pour que le corps fasse son travail tout simplement. Je simplifie au max mais supposons qu’un chien ait besoin de 1000kcal, si vous lui en donnez moins, il va maigrir. Si vous lui en donnez plus, il va grossir. Jusqu’ici c’est logique, non ? Et qu’est-ce que ça implique ? Tout simplement que ce chien, il faut lui fournir la bonne « quantité » de calories, ni plus, ni moins (tout en répondant à ses besoins nutritionnels en parallèle mais chut, mon article est assez long comme ça). Si les chiens deviennent gros, ce n’est pas parce qu’ils mangent de la viande et que ça favorise l’obésité mais parce qu’ils consomment malheureusement plus de calories qu’ils ne devraient. Et aussi qu’ils ne se dépensent pas assez. Sortez vos chiens, bordel.
Question bonus : vous ne voyez pas un problème de traduction entre les deux images précédentes ? Sur l’article de The Guardian, il est bien écrit « when we do tests on commercial meat-based diets, there are more calories. ». L’expression « commercial meat-based diets » désigne toute l’alimentation à base de viande de la grande distribution, autrement dit pâtées et croquettes, et cette alimentation est effectivement plus dense d’un point de vue calorique. 100gr de croquettes apporteront plus de calories que 100gr de viande lambda. En terme de poids uniquement, je donnais 180gr de croquettes à Kennit contre une gamelle d’environ 350/400gr tout compris aujourd’hui.
Sans compter que cette phrase se traduit par « QUAND nous faisons des tests avec cette alimentation, il y a plus de calories. » Il ne dit absolument pas que les régimes à base de viande sont plus caloriques. Bravo Mr le « journaliste », on est sur un niveau d’interprétation de folie.
De plus, j’ai lu l’étude en long en large et en travers et à aucun moment, Andrew Knight ne dit cette phrase. Donc de base, l’article du Guardian se permet des libertés. L’incompétence en bicouche.
Pause dessert avec Saturne. On a presque fini.
Dernier point abordé par cet article ridicule : les insectes !
Sur ce point, je ne vais rien dire car c’est une source de protéines encore trop récente sur le marché et bien que son profil d’acides aminés soit très intéressant, il n’y a à ce jour aucune analyse concernant la biodisponibilité ou la bonne assimilation des insectes. Et encore une fois, le monde de la nutrition est vaste au-delà des protéines. Quand on ne sait pas, on la ferme et on se renseigne. Il n’y a pas de mal à ne pas savoir mais c’est grave de se dire journaliste et de ne pas vérifier ses sources.
En tout cas, faut m’expliquer à quoi ça sert d’arrêter de manger des animaux d’élevage si c’est pour manger des insectes d’élevage. Et pour ce qui est de l’environnement, est-ce vraiment à nos fidèles compagnons de payer le prix de NOS erreurs d’humains ?
Voilà. Moi aussi je peux faire du putaclic.